Deux millions de femmes françaises, soit une femme sur dix, vivent avec l’endométriose. Derrière ce chiffre se cachent autant de réalités professionnelles affectées par une maladie longtemps ignorée. Mais depuis le lancement de la stratégie nationale en 2022, cette pathologie gynécologique sort enfin de l’ombre, ouvrant la voie à des solutions concrètes pour concilier santé et vie professionnelle.
L’endométriose se caractérise par la présence de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus, provoquant inflammations, lésions et douleurs chroniques. Si les symptômes varient d’une patiente à l’autre, une évidence s’impose : des aménagements adaptés permettent de maintenir une activité professionnelle épanouissante. La preuve par l’exemple.
Des chiffres qui interpellent
Soixante-cinq pour cent des femmes atteintes déclarent que leur maladie génère des difficultés au travail. Les manifestations sont multiples : capacités physiques et intellectuelles diminuées, concentration altérée, difficultés matinales, stress accru, sans compter l’impact sur les perspectives d’évolution professionnelle.
La douleur de l’endométriose peut être invalidante au point d’empêcher les gestes du quotidien, explique Mélanie, secrétaire de l’association EndoFrance. Venir en cours, emprunter les transports en commun ou maintenir une position assise toute la journée devient un défi. Sur l’échelle de la douleur, les patientes l’évaluent en moyenne à près de 8 sur 10. Pourtant, un tiers d’entre elles s’obligent à poursuivre leurs activités dans cet état. »
Face à cette réalité, une question s’impose : comment concilier maladie chronique et activité professionnelle ? « Notre message demeure optimiste : travailler avec de l’endométriose reste possible, affirme Mélanie. Mais l’environnement doit pouvoir s’adapter. »
L’adaptation : entre pragmatisme et créativité
Les aménagements ne nécessitent pas forcément d’investissements considérables. « Beaucoup de petits gestes peuvent transformer le quotidien, souligne la représentante d’EndoFrance. La possibilité de télétravailler lorsque prendre les transports devient trop pénible, par exemple. »
L’aménagement spatial compte également : bureaux réglables pour alterner les positions, proximité des sanitaires, places de parking dédiées, espaces de repos accessibles. S’ajoutent les aménagements temporels : horaires flexibles, pauses supplémentaires, congés d’urgence lors des crises douloureuses.
Ces dispositions trouvent progressivement leur place dans les accords d’entreprise. « Certaines organisations intègrent ces questions dans leurs accords égalité hommes-femmes ou leurs politiques diversité et inclusion », observe Samantha Ducroquet de l’Anact, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail.
Les dispositifs légaux
Au-delà des initiatives d’entreprise, le droit français propose plusieurs dispositifs d’accompagnement. Le code du travail impose aux employeurs de préserver la santé de leurs salariés, incluant la prise en compte des pathologies chroniques. Les leviers sont multiples : aménagements de postes prescrits par la médecine du travail, mi-temps thérapeutique, télétravail de droit, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). « Des dispositions encore très largement méconnues des patientes », observe la bénévole d’EndoFrance.
LA RQTH, en particulier, ouvre l’accès à des aménagements durables et à un accompagnement spécialisé. Elle reste cependant « un cap difficile à franchir pour de nombreuses patientes, note Mélanie. Une réticence qui tient davantage de leur rapport au handicap qu’à l’endométriose elle-même. »
Le triptyque gagnant : confiance, écoute, sur-mesure
Plus que les aménagements matériels, c’est toute une philosophie managériale qui doit évoluer. La raison ? « Chaque femme est unique, chaque endométriose l’est également », rappelle EndoFrance. L’impact varie selon les atteintes, la sévérité des lésions, les traitements adoptés, et fluctue même d’une journée à l’autre pour une même personne.
Impossible de proposer des solutions standardisées. La personnalisation devient la règle », confirme l’experte de l’Anact. Le management de proximité se révèle alors déterminant. Le profil idéal ? « Des managers sensibilisés, dotés d’une véritable capacité d’écoute et d’un esprit de recherche collaborative. »
Cette approche sur-mesure exige une analyse minutieuse de tous les paramètres : nature du poste, rythmes, horaires, outils, déplacements, dynamique d’équipe, objectifs… « Chaque dimension du travail doit être passée au crible », résume l’experte.
Cette démarche individualisée repose avant tout sur la confiance. Dans les organisations les plus avancées, « une collaboratrice peut alerter le matin même de son incapacité à se déplacer. Un simple message suffit, l’organisation s’adapte instantanément ».
Si les accommodements sont individualisés, il est essentiel pour l’entreprise de passer à une approche globale et cohérente qui traduit l’engagement de l’employeur à trouver des réponses collectives aux besoins des salariées et permet d’instaurer un climat de confiance propice à la bonne résolution des difficultés rencontrées, tant du point de vue des salariées que de l’encadrement.
Cette philosophie métamorphose une contrainte supposée en véritable atout : « La confiance génère la coopération, la coopération nourrit la performance », synthétise Samantha Ducroquet.
L’équipe, maillon essentiel de la réussite
Cette stratégie personnalisée ne peut faire l’impasse sur le collectif. Pour éviter que les aménagements ne créent des tensions, la transparence s’impose – dans le respect du secret médical. « Les autres membres de l’équipe doivent être informés des mesures d’adaptation et associés à leur conception quand ils sont directement concernés par la situation de travail », préconise Samantha Ducroquet.
EndoFrance a développé un outil ingénieux pour faciliter la sensibilisation des collaborateurs : Endo’travail, un serious game immersif. « Les participants se glissent dans la peau d’une personne atteinte d’endométriose, confrontée aux aléas du quotidien professionnel : appel urgent, rendez-vous imprévu, crise douloureuse… L’expérience permet de mieux comprendre la maladie, mais aussi ses répercussions concrètes sur l’ensemble de l’équipe. »
Quel que soit le niveau de maturité managériale, la médecine du travail et les référents handicap constituent des alliés précieux, désormais mieux formés à ces enjeux. « Ils peuvent faciliter l’ouverture du dialogue, même avec des managers initialement réticents », encourage Mélanie.
Vers un nouveau rapport santé-travail
La prise en charge de l’endométriose s’inscrit dans une transformation plus profonde, celle de notre approche des maladies chroniques au travail. Un phénomène loin d’être marginal : « Un salarié sur cinq en France vit avec une pathologie chronique », rappelle Samantha Ducroquet.
Cette évolution accompagne une révolution des mentalités. « L’époque du cloisonnement entre santé au travail et santé publique s’achève. Les frontières s’estompent, analyse l’experte de l’Anact. L’endométriose, longtemps cantonnée à la sphère de santé publique, investit désormais l’entreprise. »
Ce nouveau paradigme s’accompagne d’une nouvelle vision du travail dans le parcours de soins. « Selon la Haute Autorité de Santé, le travail peut s’inscrire dans la trajectoire de guérison, rappelle Samantha Ducroquet. On peut travailler en santé tout en ayant des vulnérabilités, et le travail est constructeur de santé. »
Pour elle, cette réflexion globale interroge fondamentalement notre rapport au travail : « Peut-on venir au travail quand on est malade ? Reste-t-on un travailleur à part entière malgré la maladie ? » Des questions qui dépassent l’endométriose et dessinent les contours d’un travail plus humain. L’expérimentation le prouve : « Tous les aménagements testés en entreprise pour l’endométriose profitent finalement au plus grand nombre », constate la spécialiste de l’Anact.
Au final, « l’endométriose dépasse largement la question de santé féminine, martèle la bénévole. Elle cristallise aujourd’hui les enjeux d’égalité au travail, d’inclusion et de justice sociale. »
Save the date : ne ratez pas trop évènement « Endométriose : Comprendre, Agir, Accompagner »
Le 29 janvier 2026, dans le cadre de sa démarche RSE, ifocop organise une journée de sensibilisation « Endométriose : Comprendre, Agir, Accompagner ». Cet événement gratuit en visioconférence réunira médecins spécialistes, représentants d’EndoFrance et Endoaction, ainsi que des experts de l’emploi et de la formation professionnelle. Au programme : tables rondes sur les mécanismes de la maladie, témoignages de terrain, et focus sur l’accompagnement spécifique proposé par ifocop dans ses parcours de formation.
Des ressources pour aller plus loin :
- EndoFrance, l’Association Française de lutte contre l’Endométriose
- EndoAction, association qui soutient les personnes menstruées atteintes d’Endométriose
- Guide de l’Anact « Endométriose et travail : comprendre et agir – Guide pour les dirigeants et manageurs » (téléchargeable)
- Le quiz de l’Anact pour tester les connaissances sur la maladie et ses effets sur la vie professionnelle
- Livre blanc « Endométriose & emploi » (EndoFrance et Kerialis)